Sans la peinture

Une peinture s’inscrit dans le temps. On pense souvent qu’une oeuvre survit à son auteur, qu’elle dépasse le trépas, et devient l’objet de la mémoire d’une âme, d’une histoire. Pourtant les peintures s’effacent, se détériorent et il est de plus en plus complexe de les faire durer.

Que devient une œuvre après la vie de son créateur?

Émilie Picard s’est posé cette question. Artiste peintre contemporaine, son travail convoque les souvenirs, les restes et le temps qui passe. Comme une scène de théâtre dont les acteurs auraient précipitamment fuit les planches, les objets installés par Émilie sont cabossés, déchirés, meurtris. Ses peintures ont une double lecture.

D’une part, il y a le travail du temps - sur la toile figure la disparition avant qu’elle n’ait vraiment lieu. Les toiles d’Émilie Picard sont pâles et lumineuses ; elles donnent le sentiment de regarder de grands formats surexposés, comme si le temps avait déjà fait son travail, le décor s’efface, le blanc est omniprésent. Ce blanc constitue la base de la toile, la base du travail de couleur qu’Émilie appose par la suite en prenant soin de ne pas donner la touche de trop, celle qui déséquilibrerait l’impression ondulatoire entre le fond et la scène. Cette relation entre le dessin et son support s’inscrit dans une logique vibratoire et permet d’écrire l’œuvre au passé. Fortement nourrie des œuvres de Giotto, notamment des fresques de la chapelle des Scrovegni à Padoue, Émilie Picard questionne la relation de l’œuvre avec le temps, à ses usures et ses reliquats. La disparition de l’image importe autant que celle de son contenu.

D’autre part, il y a le jeu de la mémoire, des souvenirs personnels, ceux de l’artiste et ceux liés au regard du spectateur. Des débris, des objets et végétaux, beaucoup de matière minérale et quelques attributs liés à l’enfance font partie du décor. La plupart du temps les objets s’amoncellent pour former de petites ruines au dehors, tels des vestiges périssables du passage d’un personnage déjà manquant. Ces micro-architectures sont le symbole puissant de l’action de l’Homme extrait de son quotidien. Aussi nous pouvons imaginer une œuvre dans une œuvre qui ne demande qu’à sortir du cadre ou au contraire à s’y inscrire durablement malgré ce blanc qui rogne.

L’impression que l’image tend à disparaître et ne restera plus longtemps agit comme une urgence à expliquer ce que l’on y voit, à comprendre pourquoi cet objet se retrouve ici. Émilie Picard nous fait nous raconter des histoires. Et l’urgence va plus loin : les cadres mêmes tendent à se fendre. Des fissures apparaissent à la surface de l’image, comme si elles étaient prêtes à exploser pour laisser jaillir le blanc. D’où cette question relative : s’agit-il d’une disparition ou de l’apparition de ce que nous ne voyons pas encore et qui ne demande que présence ici bas ?