Vertige et vestige de l'art Michel Loetscher, Les Affiche, 2018
Tout savoir est-il d’art et de saisissement ? Émilie Picard, diplômée des Beaux-Arts de Marseille, a délaissé la «logique plastique» de la figure humaine, présente dans ses premières œuvres, pour construire des images mentales déroulant des arrières-mondes et des entropies à l’œuvre comme pour signaler que toute histoire, fût-ce celle de l’art, est une expérience de finitude et de passage. Leur poétique interroge des notions d’apparat et d’apparence, de décor, de leurre, de rebut ou de faux-semblants en d’intrigants drapés de pierre ou de saisissantes alliances tirant la leçon de ce que l’art a toujours tenté de signifier» - ou de tout ce dont il a toujours tenté de répondre.
Émilie Picard recompose des univers proches de la mise en scène de théâtre. Elle y intègre des architectures factices, précaires, des maquettes illusoires, faites de cartons, de brindilles et de déchets. Dans L’été à l’ombre, la structure en bois évoque tout à la fois la charpente d’une cabane et la structure même du châssis du tableau. L’artiste intègre dans ses toiles des citations d’autres peintures comme celles des fresques écaillées de la Villa Livia, au nord de Rome. Ses drapés de pierre font référence à la montagne de Giotto. Il les traitait dans ses fresques comme des décors miniatures, le rapport d’échelle avec les personnages les rendent anecdotiques. Émilie Picard a choisi d’en faire des sujets dans ses toiles. Elle garde toujours en tête qu’une peinture se fait et se défait, ainsi que nous le rappelle la décrépitude des fresques antiques dont elle prend en compte la dégradation pour les intégrer à sa peinture. Émilie Picard interroge cet art en voie de disparition en ses vestiges.
En somme, faire images de vestiges et tisser des correspondances subtiles en manière d’inquiétantes étrangetés entre drapés et rigidité du minéral, entre rebuts de formes et rébus naturels - entre objets s’effritant et formes en voie d’émergence. Dans ses toiles, ce qu’il reste de l’humain est abordé par une dynamique constituante comme avatar, reliquat, masque tombé ou marionnette - comme l’oiseau dans Pic et pêches n’est qu’artifice, si volatil et si présent en son instrumentalité d’oiseau leurre moqueur...
Ce qu’il reste de l’humain est de l’ordre du domestique, il y a eu un geste, cet acte pur, révélateur de l’autre de l’image. Alors... faire image de l’ombre et de la lumière ? Quantitativement, l’ombre est peu présente dans les toiles, mais elle révèle la multiplicité des sources de lumière, comme sur une scène de théâtre. La lumière provient du tableau lui-même par le blanc de réserve qui éclaire chaque élément en le détournant.
Depuis des millénaires, le patient travail imageant de l’Homo monstrans s’est beaucoup attelé à la même affaire - celle de mise en visibilité du monde sensible et de son ombre portée dans la multiplicité des sens ainsi que le rappelle l’éclairant propos de toiles d’Émilie Picard